Répression de l’évasion fiscale internationale et conventions internationales
Le Conseil d’Etat a décidé que la convention fiscale franco-suisse ne fait pas obstacle à l’application de l’article 155 A du Code Général des Impôts et à l’imposition de l’artiste en France. Il écarte l’application de la convention fiscale liant la France à l’Etat de résidence de la société bénéficiaire de la rémunération au motif que le contribuable n’est pas la société mais l’artiste (article mis en ligne le 23 avril 2008)
Dans un arrêt en date du 28 mars 2008, n°271366, fiché au Recueil Lebon, et rendu aux conclusions contraires de Madame le commissaire du gouvernement Claire Landais, le Conseil d’Etat s’est prononcé pour la première fois sur l’application combinée de l’article 155 A du Code Général des Impôts et d’une convention fiscale signée par la France avec un Etat étranger.
L’article 155 A du Code Général des Impôts est une disposition de droit interne qui permet à l’administration fiscale française de lutter contre les montages consistant pour une personne rendant des prestations en France à localiser au sein d’une société écran étrangère le revenu qu’elle tire de cette prestation. Ce texte est une composante du dispositif français de répression de l’évasion fiscale internationale.
Les faits
Les faits de l’espèce jugée par la Haute Assemblée étaient les suivants :
M. X, artiste de variétés domicilié en Suisse, a donné un concert à Paris le 18 avril 1989.
En contrepartie de la prestation effectuée par l’intéressé, la société française « A » a versé une somme de 400 000 F à la société « B » (Ltd), établie en Grande-Bretagne et dont l’objet social était la promotion d’engagements musicaux d’artistes.
L’administration fiscale a imposé cette somme au nom de M. X au titre de l’impôt sur le revenu pour 1989 sur le fondement de l’article 155 A du code général des impôts.
L’article 155 A du CGI est ainsi rédigé :
« Les sommes perçues par une personne domiciliée ou établie hors de France en rémunération de services rendus par une ou plusieurs personnes domiciliées ou établies en France sont imposables au nom de ces dernières :
– Soit, lorsque celles-ci contrôlent directement ou indirectement la personne qui perçoit la rémunération des services ;
– Soit, lorsqu’elles n’établissent pas que cette personne exerce, de manière prépondérante, une activité industrielle ou commerciale, autre que la prestation de services ;
– Soit, en tout état de cause, lorsque la personne qui perçoit la rémunération des services est domiciliée ou établie dans un Etat étranger ou un territoire situé hors de France où elle est soumise à un régime fiscal privilégié au sens mentionné à l’article 238 A.
II. Les règles prévues au I sont également applicables aux personnes domiciliées hors de France pour les services rendus en France.
III. La personne qui perçoit la rémunération des services est solidairement responsable, à hauteur de cette rémunération, des impositions dues par la personne qui les rend ».
Monsieur X a contesté cette imposition devant le Tribunal administratif de Paris qui a rejeté sa requête par un jugement en date du 2 mai 2000.
Il a ensuite porté le litige devant la Cour administrative d’appel de Paris qui a confirmé le jugement du Tribunal par un arrêt en date du 19 avril 2004.
C’est dans ces conditions qu’il a alors présenté un pourvoi en cassation devant le Conseil d’Etat.
L’application du principe de subsidiarité
Dans son arrêt en date du 28 mars 2008, le Conseil d’Etat rappelle d’abord le principe de subsidiarité des conventions internationales tel qu’il a été explicité dans l’arrêt Schneider Electric (C.E. Ass. 28 juin 2002 n°232276): « Si une convention bilatérale conclue en vue d’éviter les doubles impositions peut, en vertu de l’article 55 de la Constitution, conduire à écarter, sur tel ou tel point, la loi fiscale nationale, elle ne peut pas, par elle-même, directement servir de base légale à une décision relative à l’imposition ; que, par suite, il incombe au juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une telle convention, de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si, à ce titre, l’imposition contestée a été valablement établie et, dans l’affirmative, sur le fondement de quelle qualification ; qu’il lui appartient ensuite, le cas échéant, en rapprochant cette qualification des stipulations de la convention, de déterminer – en fonction des moyens invoqués devant lui ou même, s’agissant de déterminer le champ d’application de la loi, d’office – si cette convention fait ou non obstacle à l’application de la loi fiscale ».
L’application du droit interne
Se plaçant donc en premier lieu sur le plan du droit interne, le Conseil d’Etat juge, en l’espèce, que la somme de 400.000 F était imposable en France au nom de M. X. après avoir relevé que:
– il n’est pas établi que la société britannique exerçait une activité industrielle ou commerciale autre que la prestation de service en cause,
– cette somme versée à la société britannique « B Ltd » constituait la rémunération destinée à M. X pour la prestation musicale qu’il avait fournie lors de son concert donné à Paris.
Les stipulations de la convention fiscale signée entre la France et l’Etat de résidence de l’artiste
Le Conseil d’Etat a ensuite effectué un rapprochement avec les dispositions de la convention fiscale liant la France avec l’Etat de résidence de l’artiste pour examiner si cette convention bilatérale était susceptible de faire échec à l’application de l’article 155 A du CGI.
Il s’agissait, en l’espèce, de l’article 19 paragraphe 1 de la convention fiscale franco-suisse du 9 septembre 1966 – dans sa rédaction antérieure à l’avenant du 22 juillet 1997 – d’où il résulte que les professionnels du spectacle et les sportifs sont imposables en France sur les revenus qu’ils « retirent de leurs activités personnelles » exercées en France « en cette qualité « .
Le Conseil d’Etat décide que la convention franco-suisse ne faisait pas obstacle à l’imposition en France de la somme de 400.000 F au nom de Monsieur X dès lors que la somme versée par la société A à la société britannique B (Ltd) rémunérait les prestations servies par M. X à l’occasion du concert qu’il avait donné à Paris et était, par suite, en vertu de l’article 155 A du code général des impôts, « un revenu retiré par l’artiste de son activité de professionnel du spectacle en France ». Le Conseil d’Etat s’est écarté de l’analyse proposée par son commissaire du gouvernement qui souhaitait faire prévaloir une interprétation littérale de l’article 19 paragraphe 1 de la convention franco-suisse dans sa rédaction antérieure à l’avenant de 1997. Cette interprétation stricte de la convention consistait à considérer que les stipulations de l’article 19 § 1 « ne visent bien que les seuls revenus mis à disposition de l’artiste et non ceux attribués à une société interposée en rémunération d’une prestation exercée par lui » . Le Conseil d’Etat a tranché en faisant prévaloir une interprétation extensive de la convention.
La non-application des stipulations de la convention fiscale liant la France à l’Etat de résidence de la société bénéficiaire de la rémunération
Le commissaire du gouvernement se fondait sur « l’absence de principe général selon lequel une convention fiscale bilatérale est réputée, dans le silence du texte, ne s’appliquer qu’aux résidents de l’un ou l’autre Etat » . Il en concluait qu’un « résident suisse imposé en France sur un revenu donné est recevable à invoquer une clause de la convention franco-britannique qui réservait l’imposition de ce même revenu à la Grande-Bretagne » après avoir constaté que la rédaction de la convention dans sa version antérieure à l’année 2004 « ne comporte pas l’article 1er du modèle OCDE qui précise que la convention s’applique aux personnes qui sont des résidents d’un Etat contractant ou des deux Etats contractants« .
Cette analyse n’a pas été suivie par le Conseil d’Etat qui a écarté l’application de la convention fiscale entre la France et le Royaume-Uni, Etat de résidence de la société bénéficiaire de la rémunération, et notamment son article 6 relatif aux bénéfices industriels et commerciaux.
Les juges du Palais Royal ont en effet considéré que ces stipulations ne sont pas applicables au requérant M. X, mais à un autre contribuable, la société britannique B Ltd.
Le 23 avril 2008,
Philippe NATAF
Avocat spécialiste en Droit Fiscal