Incompatibilité du dispositif des perquisitions fiscales avec la Convention Européenne des Droits de l’homme
Dans un arrêt en date du 21 février 2008 rendu en matière de perquisitions fiscales (article L 16 B du LPF), la Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné pour la première fois la France pour violation de l’article 6 § 1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. (article mis en ligne le 7 mars 2008, publié dans LES ECHOS en date du 9 avril 2008).
Dans un arrêt en date du 21 février 2008 (requête n°18497/03), la Cour européenne des Droits de l’Homme a condamné la France dans une affaire concernant une perquisition fiscale en considérant que les requérants n’ont pas eu accès à un « tribunal » pour obtenir, à l’issue d’une procédure répondant aux exigences de l’article 6§1 de la Convention européenne des Droits de l’Homme (CEDH), une décision sur leur « contestation ».
L’article 6§1 de la Convention dispose que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (…) par un tribunal indépendant et impartial (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) ».
L’article L 16 B du Livre des Procédures Fiscales (LPF) qui encadre les procédures de perquisitions fiscales (dites « visites domiciliaires ») prévoit que l’ordonnance du juge autorisant la visite n’est susceptible que d’un pourvoi devant la Cour de Cassation.
La Cour Européenne des Droits de l’homme a examiné la question de savoir « si le contrôle de la Cour de cassation, statuant sur le pourvoi du requérant, apporte des garanties suffisantes au regard de l’équité du procès, exigée par l’article 6 de la Convention ».
Répondant à cette question, la Cour a considéré qu’à elle seule, la possibilité de se pourvoir en cassation (…) ne répond pas aux exigences de l’article 6§ 1 dès lors qu’un tel recours devant la Cour de cassation, juge du droit, ne permet pas un examen des éléments de fait fondant les autorisations litigieuses ».
La Cour ajoute que « la personne visée par la perquisition projetée – qui ignore à ce stade l’existence d’une procédure à son encontre – ne peut se faire entendre » ce qui n’est pas conforme à l’article 6-1 de la CEDH.
Enfin, si les opérations de perquisition s’effectuent bien sous le contrôle du juge qui les a ordonnées en vertu de l’article L 16 B du LPF, la Cour européenne considère que cette mesure « ne permet pas un contrôle indépendant de la régularité de l’autorisation elle-même ».
La Cour souligne que « l’accès des personnes concernées à ce juge apparaît plus théorique qu’effectif » dès lors que selon la jurisprudence de la Cour de Cassation, d’une part, les agents qui procèdent à la visite n’ont pas l’obligation légale de faire connaître aux intéressés leur droit de soumettre toute difficulté au juge, et que d’autre part, le juge n’est pas tenu de mentionner dans l’ordonnance d’autorisation ni la possibilité, ni les modalités de sa saisine en vue de la suspension ou de l’arrêt de la visite.
La Cour européenne des Droits de l’Homme donne ainsi satisfaction aux requérants en faisant droit à des arguments qui avaient été très fréquemment développés sans succès devant la Cour de Cassation.
La Cour de cassation s’était déjà prononcée sur les mêmes moyens de défense et les avait rejeté (Cass. 2e civ. 21 avril 2005 n° 682 FS-PB, Rigat ; Cass. crim. 24 octobre 2001 n° 6730 F-D) en considérant que le droit à un procès équitable et à un recours effectif est assuré. La Cour de Cassation motivait son rejet d’une part, par l’intervention du juge qui vérifie le bien-fondé de la requête de l’administration fiscale, contrôle le déroulement des visites et saisies qu’il a autorisées et peut à tout moment, d’office ou à la requête des intéressés, décider l’arrêt ou la suspension de la visite tant que durent les opérations, d’autre part, par le contrôle exercé par la Cour de cassation sur la régularité de la décision du juge.
En vertu de l’article 46 § 1 de la Convention EDH, les Etats «s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels [ils] sont parties».
Cette jurisprudence très novatrice devrait conduire assez rapidement les autorités françaises à effectuer une modification importante du texte de l’article L 16 B du LPF pour le rendre compatible avec les dispositions de l’article 6§1 de la CEDH. Une telle modification législative est indispensable en raison des lourdes conséquences tirées par le juge administratif de la régularité de l’ordonnance autorisant les opérations de visites et saisies. Le Conseil d’Etat considère en effet que l’annulation de l’ordonnance du juge autorisant la perquisition fiscale est, sous certaines conditions, susceptible d’entrainer la nullité des impositions supplémentaires issues du contrôle fiscal qui est engagé après la perquisition. Il en est ainsi lorsque les droits établis procèdent de l’exploitation des informations recueillies à l’occasion de la perquisition en cause (en ce sens par ex. : CE 16 novembre 2005 n° 264077, 9e et 10e s.-s., min. c/ SARL Sarim : RJF 2/06 n° 169, concl. L. Vallée BDCF 2/06 n° 20).
Le 7 mars 2008,
Philippe NATAF
Avocat spécialiste en Droit Fiscal
www.natafetplanchat.fr
LES ECHOS 9 avril 08 Droits de l’Homme et Perquisition fiscale.pdf