Procédure Fiscale / Procédure Pénale : « L’évolution récente du principe d’indépendance de la procédure fiscale à l’égard de la procédure pénale en matière de fraude fiscale”, par E. KORNPROBST et Ph. NATAF
« L’évolution récente du principe d’indépendance de la procédure fiscale à l’égard de la procédure pénale en matière de fraude fiscale”,
par Emmanuel KORNPROBST, Professeur émérite de l’Université de Rouen et Philippe NATAF, avocat spécialiste en Droit Fiscal (Contrôle et Contentieux fiscal).
Revue Trimestrielle de Droit Financier (RTDF) n°3/2016.
Le principe d’indépendance des contentieux répressif et fiscal est fondé sur le principe de plénitude de juridiction du juge répressif, gardien des libertés individuelles, qui ne saurait renoncer au profit du juge de l’impôt à exercer son pouvoir propre d’appréciation des éléments constitutifs de l’infraction. Mais si la procédure fiscale et la procédure pénale sont effectivement indépendantes, il reste que le droit fiscal et le droit pénal ont de nombreuses frontières communes qu’il s’agisse des infractions (p. ex. fraude fiscale de l’article 1741 du CGI / escroquerie), de la nature des pénalités (p. ex. sanctions fiscales à caractère répressif / peines pénales) tant au regard de la Constitution que de la Convention européenne des droits de l’homme, du cumul des peines fiscales et pénales, de l’irrecevabilité des questions préjudicielles de compétence entre les deux ordres juridictionnels, ou encore de l’autorité de la chose jugée au pénal par rapport au droit fiscal (cf. en dernier lieu : CE, 14 oct. 2015, req. n° 360426 : Dr. fis. 2015 n° 51-52 comm. 744 concl. Bokdam-Tognetti) ou réciproquement (cf. en dernier lieu : Cass. crim., 13 janv. 2016, n° 14-86720 : Bull. crim. n° 331). Et ce phénomène n’a fait que s’amplifier au cours des dernières années (cf. D. Gutmann, La « pénalisation » du droit fiscal : mythe ou réalité : Dr. fisc. 2011 n° 4 comm. 122) pour finalement atteindre un point d’orgue avec les récentes décisions du Conseil Constitutionnel du 24 juin 2016, Alec W. et Jérôme C., n° 2016-545 QPC et n° 2016‑546 QPC, sur le cumul des sanctions pénales et fiscales (principe ne bis in idem), en attendant l’arrêt qui sera rendu en décembre par la Grande chambre de la Cour européenne des Droits de l’homme dans l’affaire Frisvold et Flom Jacobsen c/ Norvège n° 11024130/11 et n° 29758/11.
Cette indépendance se retrouve au niveau des procédures, avec cette question fiscale de la porosité nécessaire de la frontière entre la procédure fiscale et la procédure pénale qui se manifeste principalement aux deux niveaux qui feront l’objet de cette étude : la recherche et la communication des informations pénales à l’Administration fiscale, et l’utilisation de celles-ci dans le procès fiscal.
- Les contributions de la procédure pénale au procès fiscal
Traditionnellement, ces contributions se sont organisées autour du droit de communication à l’Administration fiscale des documents de la procédure pénale et de l’assistance judiciaire internationale entre les États.
- La communication d’informations par les autorités judiciaires
Le législateur n’a pas attendu le renforcement récent de la lutte contre la fraude fiscale pour organiser une certaine porosité des deux procédures, par le biais du droit de communication. L’étude ne portera pas sur le sujet extrêmement vaste de la communication entre administrations fiscales, que ce soit dans le cadre du droit interne, ou dans celui de l’assistance administrative entre États organisée par les directives de l’Union européenne (cf. en dernier lieu, la directive n° 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par l’article 72 de la loi de finances rectificative pour 2013 du 29 décembre 2013, et le dernier « paquet » de propositions de la Commission européenne du 18 mars 2015) ou, ponctuellement, par chaque convention fiscale bilatérale comportant une clause d’assistance administrative, ou par la convention multilatérale OCDE concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, mais seulement sur les apports des autorités judiciaires françaises et étrangères aux procédures fiscales engagées par l’Administration fiscale française.
1.1. L’échange d’informations avec l’autorité judiciaire française
Le droit de communication de l’Administration fiscale auprès des autorités judiciaires françaises s’organise autour de deux dispositifs :
L’article L. 82 C du livre des procédures fiscales (LPF) (modifié par l’article 92-II-2° de la loi n° 2015-1786, du 29 décembre 2015) dispose qu’« à l’occasion de procédure judiciaire, le ministère public peut communiquer les dossiers à l’Administration des finances », sans qu’y fasse obstacle l’article 11 du code de procédure pénale sur le secret de l’instruction.
Cette communication se fait, soit spontanément, soit sur demande préalable de l’Administration fiscale, sans aucun formalisme ni délai, par simple accord, oral ou écrit, entre chaque procureur et le directeur départemental des finances publiques.
Elle peut intervenir à tout moment de la procédure, au fur et à mesure de l’avancement de l’affaire, ou après l’expiration du délai de mise à disposition obligatoire des services fiscaux de l’article R. 101-1 du LPF (« Pendant les 15 jours (10 jours en matière correctionnelle) qui suivent la date à laquelle est rendue une décision, de quelque nature qu’elle soit, par une juridiction civile, administrative, consulaire, prud’homale ou militaire, les pièces restent déposées au greffe où elles sont à la disposition de l’administration des finances »), aussi bien pour les dossiers terminés que les classements sans suite, et pour toutes les pièces, ou documents, versées au dossier, qu’elle aient été invoquées ou non par le plaideur et même si elles n’ont pas été retenues par le juge ni visées dans le jugement.
L’article L. 101 du même livre (modifié par le même article 92-II-2° précité) prévoit, désormais, que, d’une façon générale, « l’autorité judiciaire (juge d’instruction ou procureur de la République) doit communiquer à l’Administration des finances toute indication qu’elle peut recueillir de nature à faire présumer une fraude commise en matière fiscale ou une manœuvre quelconque ayant eu pour objet ou ayant eu pour résultat de frauder ou de compromettre un impôt, recueillie à l’occasion de toute procédure judiciaire », ce qui, par exemple, peut être le cas d’un procès-verbal dressé par un OPJ en matière de répression des infractions à la législation économique, ou les conclusions d’un rapport d’expertise ordonné par le tribunal correctionnel, dès lors que le terme « indication » couvre en réalité tout document et non pas seulement des renseignements.
La communication est spontanée ou sur demande, sans formalisme et sans engagement préalable d’une vérification de comptabilité ou d’une procédure de perquisition et saisie de l’article L. 16 B (Cass. crim., 12 déc. 1994, n° 94-80.328 : Dr. fisc. 1995.30.1621), sans habilitation des agents de l’Administration fiscale ni rang hiérarchique pour prendre connaissance des renseignements transmis.
Parfois, elle ne pourra pas avoir lieu matériellement, dans la mesure où l’autorité judicaire aura conservé les documents dans ses bureaux pour une consultation sur place, mais dans ce cas, l’Administration doit en aviser le contribuable (CE, 14 févr. 2001 (req. n 203465 : Dr. fisc. 2001 n° 30-35 comm. 734 concl. Courtial) et avoir une attitude active en lui proposant des modalités pratiques de consultation lorsque l’importance en volume des documents utilisés ne permet pas une consultation aisée (CE, 19 janv. 1998, req. n° 169131 : Dr. fisc. 1998 n° 15 comm. 309 concl. Arrighi de Casanova).
À cet égard, l’administration est tenue, lorsqu’elle consulte au cours d’une vérification de comptabilité des pièces comptables saisies et détenues par l’autorité judiciaire, de soumettre l’examen de ces pièces à un débat oral et contradictoire avec le contribuable. Mais il n’en va pas de même lorsqu’elle consulte des pièces détenues par l’autorité judiciaire qui ne présentent pas le caractère de pièces comptables (CE, 28 nov. 2003, req. n° 255954 : RJF 2/04 n° 160, concl. G. Goulard, BDCF 2/04 n° 26).
Ainsi, ne présentent pas le caractère de pièces comptables de l’entreprise vérifiée, des factures émises par les fournisseurs de celle-ci (CE, 22 nov. 2006, req. n° 280252 : RJF 2/07 n° 180 ; CE, 21 nov. 2007, req. n° 297514 : RJF 5/08 n° 580).
L’efficacité de ces dispositifs est assurée de deux manières :
- d’une part, par l’article 13 de la loi du 6 décembre 2013 qui prévoit que l’autorité judiciaire (juge d’instruction ou procureur de la République) doit être informée, dans les six mois, par l’Administration fiscale des suites qui ont été données à sa communication de documents et notamment des résultats fiscaux de l’instance fiscale (redressements, pénalités fiscales…),
- d’autre part, par l’article L. 188 C du LPF (anciennement L. 170 qui était limité à l’impôt sur le revenu et l’impôt sur les sociétés et, depuis, modifié par l’article 92-II-3° et IV de la loi précitée n° 2015-1786) qui dispose que, pour tous les impôts, même si les délais de reprise de droit commun sont écoulés, « les omissions ou insuffisances d’imposition révélées par une procédure judiciaire, par une procédure devant les juridictions administratives ou par une réclamation contentieuse (…) peuvent être réparées par l’administration des impôts jusqu’à l’expiration de l’année suivant celle de la décision qui a clos l’instance et, au plus tard, jusqu’à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due ».
Il s’agissait, en effet, de tenir compte de l’arrêt Rigail du Conseil d’État du 30 décembre 2014 (req. n° 371652) qui a posé le principe que seul l’engagement de poursuites doit être regardé comme ouvrant l’instance. La haute assemblée en déduit que ni l’ouverture d’une enquête préliminaire ni l’examen des poursuites par le ministère public, selon les formes et conditions prévues par le Code de procédure pénale, n’ont, eux-mêmes, un tel effet. Le Conseil d’État a ainsi infirmé la jurisprudence antérieure des juges du fond qui avait admis d’inclure dans l’instance la phase de l’exercice de l’action publique (CAA Paris, 16 oct. 2006, n° 04PA2834 : RJF 4/07 n° 475) ou les procès-verbaux d’auditions établis par l’officier de police judiciaire en exécution d’une commission rogatoire du juge d’instruction (CAA Bordeaux, 18 juill. 2006, n° 03BX02124 : RJF 1/07 n° 57).
Ces dispositions s’appliquent à tous les éléments de l’instance, y compris en matière pénale, à l’instruction et, notamment, aux procès-verbaux d’interrogatoires et de comparutions (CE, 19 juin 2013, req. n° 342340 : RJF 11/13 n° 960, BDCF 10/13 n° 105). Mais la limite est dans le terme de « révélation », car s’il est avéré que l’Administration a disposé d’éléments suffisants établissant une omission ou une insuffisance d’imposition, celles-ci ne peuvent plus être regardées comme « révélées » au sens de cet article par des éléments postérieurs, réclamation ou instance judiciaire (CE, 22 mars 1985, req. n° 42952 : Dr. fisc. 1985 n° 40 comm. 1634). Le risque est, en effet, que l’Administration fiscale ait manqué de discernement ou ait été négligente dans son contrôle et dépose plainte pour reprendre sa vérification incomplète.
Et à cet égard, dans un arrêt Patenotre, le Conseil d’État a décidé que des insuffisances ou omissions d’imposition ne peuvent pas être regardées comme révélées par une instance devant les tribunaux au sens de l’article L. 170 du LPF « lorsque l’administration dispose d’éléments suffisants lui permettant, par la mise en œuvre des procédures d’investigations dont elle dispose, d’établir ces insuffisances ou omissions d’imposition dans le délai normal de reprise prévu à l’article L. 169 du même Livre ». Il en va également ainsi lorsque, à la date à laquelle l’administration dispose de ces informations, le délai prévu à l’article L. 169 du LPF est expiré et qu’elle n’est plus en mesure, sur ce seul fondement, de réparer les insuffisances et omissions d’imposition. La circonstance que ces informations seraient ultérieurement mentionnées dans une procédure judiciaire n’ouvre pas à l’administration le droit de se prévaloir de l’article L. 170 du LPF dès lors qu’en pareille hypothèse ces informations ne peuvent être regardées comme ayant été révélées par cette instance (CE, 23 déc. 2013, req. n° 350967, M. Patenotre : Dr. fisc 2014, n° 3).
Il appartient, donc, au juge de l’impôt, d’apprécier si l’Administration disposait, ou non, des éléments « propres à lui permettre d’établir » ces impositions (CE, 22 mars 1985, req. n° 42952 précité). Une telle vérification est nettement plus étendue que la simple caractérisation de la connaissance ou non d’une insuffisance, puisqu’il est ici question d’éléments qui permettent ensuite au service d’établir l’impôt (CE, 12 avr. 2013, req. n° 354551 : Dr. fisc. 2013 n° 27 comm. 362 ; CE, 29 avr. 2009, req. n° 299949 : Dr. fisc. 2009 n° 27 comm. 398 concl. Glaser).
1.2. L’entraide judiciaire avec les autorités étrangères
Cette entraide judiciaire comporte deux niveaux :
- une entraide au sens large qui regroupe toutes les mesures de coopération entre États et qui relève du droit public international (extradition, délégation de poursuites pénales, exécution des décisions pénales étrangères…) ;
- une entraide judiciaire accessoire constituée par le soutien, spontané ou sur demande préalable des autorités judiciaires d’un État, que les autorités de l’État requis apportent en accomplissant sur leur territoire des actes de procédure ou d’autres actes officiels et en leur en communiquant le résultat en vue de leur utilisation dans une procédure pénale déterminée : audition de témoins ou d’inculpés, confrontation de personnes, remise et saisie de pièces à conviction ou documents, remise de valeurs, perquisition, confiscation, notification de citations ou autres actes judiciaires.
Cette entraide s’inscrit, traditionnellement, dans plusieurs sources internationales : la convention européenne d’entraide judiciaire (CEEJ) en matière pénale du 20 avril 1959, modifiée, les conventions relatives à la répression de certains délits émanant de l’ONU ou du Conseil de l’Europe ou encore, et surtout, les traités conventionnels bilatéraux d’entraide judicaire.
Mais, depuis quelques années, elle prend des formes diversifiées. Ainsi, au niveau de l’Union européenne, on peut observer, depuis une décision européenne du 13 juin 2002, transposée en France dans le code de procédure pénale par la loi du 9 mars 2004, l’instauration d’équipes d’enquêteurs nationaux (policiers, gendarmes…) appartenant à plusieurs États de l’Union européenne en vue de lutter, pour une période déterminée, contre une fraude déterminée, en permettant de conduire des investigations conjointes associant les compétences de leurs agents, sans avoir recours au formalisme de la mise en œuvre de l’entraide conventionnelle. Pareillement, on peut relever le rôle joué par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), dont les magistrats-experts, membres de l’unité « conseil judiciaire et juridique », prêtent assistance aux autorités judiciaires des États membres dans le cadre d’enquêtes transnationales essentiellement en matière de fraude à la TVA.
Or, à cet égard, l’article 2 de la CEEJ dispose que l’entraide peut être « refusée : a) si la demande se rapporte à des infractions considérées par la partie requise (…) comme des infractions fiscales », ce qui a pu conduire la Suisse à n’accorder l’entraide judiciaire qu’à la condition expresse que les résultats des investigations faites en Suisse et les renseignements contenus dans les documents ou dossiers transmis soient utilisés exclusivement pour instruire et juger les infractions à raison desquelles l’entraide est fournie, l’utilisation à des fins directes ou indirectes des documents et renseignements ainsi obtenus « étant en tous les cas exclue dans une procédure de nature fiscale à caractère pénal ou administratif ».
Et le Conseil d’État vient de décider pour la première fois que la réserve émise par la Suisse n’est invocable qu’entre les États parties à la convention européenne d’entraide judiciaire en matière pénale (CE, 13 juin 2016, req. n° 384789, M. Camadini : Dr. fisc. 2016 n° 36 comm. 471).
Pour autant, n’est considérée comme une infraction fiscale non susceptible d’entraide que tout agissement destiné à réduire une contribution fiscale, c’est-à-dire à se soustraire à l’impôt, à l’exclusion des infractions ayant pour but l’obtention indue d’une prestation de la part du Trésor (p. ex. obtention frauduleuse de subventions, faux en écritures, non-versement de cotisations…).
De plus, des exceptions au refus de l’entraide fiscale ont spécialement été instituées, notamment en matière d’escroquerie à la TVA, ou d’établissement stable ou encore en matière d’impôts indirects et de douane (accises, TVA, droits de douane).
- Les nouvelles structures de contrôle mixtes, fiscalo-pénales : la création d’une véritable « Tax Force »
Lorsque les informations et documents issus de la procédure pénale ont atteint l’Administration fiscale, ils n’ont plus de difficultés pour leur transmission entre les différents services fiscaux, mais ce qui a, longtemps, handicapé l’action de ces derniers était de ne pas être à la source de la recherche de ces informations et documents. La meilleure illustration se manifestait dans la mise en œuvre des poursuites pénales pour infractions fiscales (CGI, art. 1741 et s.) qui exige une plainte préalable de l’Administration fiscale (le « verrou » de Bercy ») qui doit, préalablement, obtenir un avis conforme de la Commission des infractions fiscales (CIF) (LPF, art. L. 228), commission administrative, désormais composée, depuis 2015, de vingt-huit hauts magistrats et personnalités qualifiées (CGI, art. 1741 A).
Une telle exigence entravait ces poursuites pénales, car la CIF ne trouvait pas toujours dans le dossier transmis par la Direction générale des finances publiques (DGFiP) suffisamment d’éléments pour autoriser le dépôt d’une plainte, ses inspecteurs, même dans le cadre de la procédure de visite domiciliaire et de saisie de l’article L. 16 B du LPF, ne possédant pas, en tant que tels, de prérogatives judiciaires. Bien plus, une fois la plainte déposée, les investigations supplémentaires étaient conduites sous l’autorité du procureur et du juge d’instruction qui, parfois, faute de disposer d’officiers de police judicaire suffisamment spécialisés, s’en remettaient à des expertises extérieures ou aux écritures de l’Administration partie civile.
Ces considérations très générales ont conduit le législateur à instituer, dans la procédure pénale, des agents spécialisés susceptibles de débusquer l’information pour, ensuite, éventuellement, la transmettre à l’Administration fiscale.
2.1. Les officiers fiscaux judiciaires (OFJ) et la procédure judiciaire d’enquête fiscale
À l’instar de ce qui se pratique dans d’autres pays (États-Unis, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Espagne), le législateur a organisé une procédure judiciaire d’enquête fiscale (L. fin. rect. pour 2009, art. 23) inspirée de dispositifs déjà institués en matière de douanes pour les infractions au code des douanes, l’escroquerie à la TVA et le blanchiment (CPP, art. 28-1) et octroyant des prérogatives judiciaires à certains agents de l’Administration fiscale (CPP, art. 28-2) en cas de simples présomptions caractérisées de certaines fraudes fiscales spécifiques (utilisation de comptes ou contrats souscrits dans tout État étranger, ou d’interposition de tiers (personnes physiques ou morales, fiducie, trust…) dans cet État), ou bien en cas d’usage de faux (fausse identité, faux documents au sens de l’article 441-1 du code pénal, ou toute autre falsification (LPF, art. L. 228-3°), et ce, lorsqu’il existe un risque de dépérissement des preuves.
Et, dans le même temps, lorsque la procédure d’enquête est mise en œuvre, la CIF peut désormais n’être saisie que sur base de ces présomptions de fraude et le contribuable n’être informé ni de sa saisine ni de son avis (LPF, art. L. 228-3).
Ces agents des services fiscaux spécialement désignés, dans ce cadre, par arrêtés conjoints des ministres de la Justice et du Budget, et habilités par décision du procureur général de chaque cour d’appel concernée, se sont vus, alors, à côté des OPJ, reconnaître en tant qu’OFJ (officiers fiscaux judiciaires) des prérogatives judicaires sur l’ensemble du territoire pour rechercher et constater les fraudes fiscales des articles 1741 et s. du CGI, sous la direction du procureur, la surveillance du procureur général et le contrôle de la chambre d’accusation (CPP, art. 28-2, III), au sein de la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) rattachée, au même titre que le Service national de douane judiciaire (SNDJ), à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscale créé par le décret n° 2013-960 du 25 octobre 2013 au sein du ministère de l’Intérieur. La BNRDF compte, actuellement, 42 enquêteurs pour deux cents enquêtes en cours, d’une durée chacune de l’ordre de deux ans.
Ces prérogatives dont ils disposent sont, alors, très variées et énoncées par la loi (CPP, art. 28-2, IV) : lorsqu’ils interviennent sur réquisition du procureur de la République, dont ils sont, en quelques sorte le bras armé, ils peuvent non seulement constater les infractions et procéder à des saisies et perquisitions, mais également procéder à des auditions, à des gardes à vue et à des enquêtes préliminaires. Lorsqu’ils interviennent sur commission rogatoire du juge d’instruction, ils peuvent effectuer tous les actes de la compétence de ce dernier.
Le principe d’indépendance des procédures fiscales et pénales est, cependant, respecté car, pour éviter tout risque de conflit d’intérêt, ces agents ne peuvent, pendant la durée de leur habilitation, ni participer à une procédure de contrôle de l’impôt, ni effectuer des actes de poursuite afférents à une procédure de contrôle à laquelle ils auraient auparavant participé et, après la fin de leur habilitation, ils ne peuvent participer à une telle procédure fiscale. Ce principe permet aussi d’éviter que le contribuable puisse évoquer l’irrégularité de la procédure fiscale en soutenant que les opérations de vérification ont débuté avant l’envoi de l’avis de vérification de comptabilité ou d’examen de situation fiscale personnelle exigé par les dispositions de l’article L. 47 du LPF.
De plus, lorsque l’Administration fiscale dépose une plainte ayant abouti à l’ouverture d’une enquête judiciaire pour des faits entrant dans le champ de la procédure d’enquête fiscale, elle n’est pas liée par l’interdiction de procéder à une nouvelle vérification ou rectification au regard des mêmes impôts ou taxes et pour la même période (LPF, art. L. 50, al. 2 et L. 51-7°).
L’efficacité de ce nouveau dispositif a eu pour effet que la compétence des OFJ, initialement limitée à la fraude fiscale, a été étendue à tout un ensemble de délits fiscaux par l’article 7 de la loi du 6 décembre 2013 (n° 2013-1117) : blanchiment de fraude fiscale et blanchiment des délits fiscaux et comptables de l’article 1743 du CGI, ainsi qu’aux infractions qui leur sont connexes au sens de l’article 203 du code de procédure pénale (abus de biens sociaux, trafic de stupéfiants, recel…) sans, pour autant, que les poursuites de tels délits ne soient subordonnées (sauf en ce qui concerne le recel de fraude fiscale : Cass. crim., 14 déc. 2000 : Bull. crim. n° 381) au respect de la procédure fiscale spéciale de l’article L. 228 du LPF (saisine de la CIF, plainte préalable de l’Administration fiscale …) (Cass. crim., 20 févr. 2008, n° 07-82.977 : Bull. crim. n° 43).
2.2. Le procureur de la République financier (PRF)
Ce PRF a été institué par les articles 46 et 69 de la loi du 6 décembre 2013 (n° 2013-1117), avec une double compétence nationale, d’une part concurrente avec celle des juridictions territoriales, en matière économique et financière (CPP, art. 705) pour les fraudes de grande complexité, d’autre part exclusive en matière boursière (CPP, art. 705-1) avec pour ambition de représenter une nouvelle figure incarnant la lutte contre la fraude fiscale sous la forme d’un interlocuteur privilégié pour les services d’enquêtes nationaux, les autorités judiciaires étrangères et le futur procureur européen.
En ce qui concerne la fiscalité, sa compétence porte sur les délits d’escroquerie complexe à la TVA et le délit de fraude fiscale en bande organisée ou aggravée, ce qui, pour l’essentiel, couvre l’essentiel de la compétence des OFJ qui seront, ainsi, à son service.
Il peut faire directement appel à des assistants spécialisés, notamment, en matière fiscale, à des agents des impôts, dans une optique de travail pluridisciplinaire (comptabilité, douane, fiscalité, banque…).
Ses moyens, en matière fiscale, sont particulièrement développés, puisqu’il pourra avoir recours à l’Office central de lutte contre les atteintes à la probité (issu de la Division nationale des investigations financières et fiscales de la Direction centrale de la police judiciaire), et pourra utiliser des techniques intrusives (infiltration, captation de données informatiques, interception de correspondances…), avec, toutefois, une réserve émise par le Conseil constitutionnel, selon laquelle la mise en application de ces moyens devra être proportionnée à la gravité et à la complexité des infractions sans instituer de discriminations injustifiées (Cons. constit. déc., 4 déc. 2013, n° 2013-679, point 75), ce qui devrait concerner, notamment, la fraude fiscale en bande organisée ou aggravée, et les infractions douanières les plus graves passibles de plus de cinq ans d’emprisonnement.
- Les conditions d’utilisation des documents communiqués par les autorités judiciaires
Le droit de communication ne peut être valablement exercé que dans ses limites ratione materiae (documents communicables) et ratione personae (personnes devant ou pouvant procéder à la transmission) (CE, 1er juill. 1987, req. n° 54222 : Dr. fisc. 1987 n° 45 comm. 2025 ; Cass. com., 26 oct. 2010, n° 09-70.927 : Dr. fisc. 2011 n° 3 comm. 116), mais lorsque c’est le cas, il reste deux questions : le sort des documents régulièrement transmis, mais d’origine illicite (p. ex. saisie judiciaire ultérieurement annulée ou procès-verbal irrégulier émanant d’une autorité judiciaire étrangère) et celui des procédures fiscales et pénales liées.
- Le sort des documents d’origine illicite au regard du droit interne
Pendant longtemps, la jurisprudence s’est divisée sur cette question, le Conseil d’État considérant que les documents régulièrement transmis, mais d’origine illicite pouvaient valablement être utilisés dans le procès fiscal (CE, 3 déc. 1990, req. n° 103101 : Dr. fisc. 1991 n° 7 comm. 259 concl. Arrighi de Casanova), alors même qu’ils auraient donné lieu à une condamnation de la France de la part de la Cour européenne des droits de l’Homme (CE, 24 nov. 1997, req. n° 171929 : Dr. fisc. 1998 n° 8 comm. 128), alors qu’à l’inverse la Cour de cassation vérifiait l’origine régulière de ces documents communiqués (Cass. com. 26 févr. 2013, n° 12-14.771 : Bull. civ. IV n° 4).
Cette question a pris une importance considérable depuis 2009 avec l’affaire HSBC-Falciani, et c’est dans ce contexte que, depuis les articles L. 10-0 AA du LPF et 67 E du code des douanes (issus des articles 37 et 38 de la loi précitée du 6 décembre 2013), l’origine illicite ou anonyme des « documents, pièces ou informations » ne permet plus, en elle-même, « sur ce seul motif », au juge fiscal ou douanier, de les écarter.
La finalité de ce nouveau texte a été précisée par M. Y. Galut, rapporteur de la commission des lois (JOAN, Déb. 2e séance du 20 juin 2013) qui a déclaré : « nous autorisons – et c’est important – l’utilisation des fichiers volés. Il y a eu une divergence de jurisprudence entre la chambre pénale et la chambre commerciale de la Cour de cassation en la matière. En adoptant cette législation, nous mettrons fin à cette problématique juridique et nous permettrons à l’administration fiscale, à la justice pénale et aux services de police d’utiliser ces fichiers volés ».
En revanche, cette règle ne concerne pas la procédure pénale, même menée dans le cadre de la procédure judiciaire d’enquête fiscale.
Pour autant, ce qui conditionne l’utilisation de ces documents est leur transmission dans le cadre de l’exercice régulier du droit de communication, notamment des autorités judiciaires, ou de l’assistance administrative internationale avec, toutefois, en ce dernier cas, ce risque de détournement de la loi consistant, pour les services fiscaux à informer le procureur de la République pour que celui-ci leur transmette ces informations.
L’usage de cette procédure, validée par le Conseil constitutionnel (n° 2013-679 DC, 4 déc. 2013) doit, toutefois, comme auparavant, être effectuée dans le respect des droits de la défense, du principe de loyauté dans l’administration de la preuve (Cass. com., 18 juin 1996, n° 94-17312 : Bull. civ. IV n° 182) et du principe de légalité (CE, 21 mars 2001, req. n° 202490 : Dr. fisc. 2001 n° 24 comm. 549 concl. Goulard).
Et, dans sa décision, en s’inspirant manifestement de la position de la Cour de cassation sur ce point (Cass. crim., 16 mai 2012, n° 11-83602), le Conseil constitutionnel a émis une réserve importante portant sur le caractère proportionné de cet usage : « ces dispositions ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux et douaniers de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge ».
Cela vise l’hypothèse où, par exemple, l’Administration fiscale obtiendrait communication régulière de la part de l’autorité judiciaire, directement d’un juge français, ou indirectement par l’entraide judiciaire entre États, de documents saisis lors d’une perquisition qui serait ultérieurement annulée avec pour effet l’annulation de ces pièces.
Dans le prolongement de cette décision du Conseil constitutionnel du 4 décembre 2013, le Conseil d’État a décidé récemment d’abandonner sa jurisprudence Navon (CE 6 déc. 1995, req. n° 90914 sect., Navon : RJF 1/96 n° 62 avec chronique G. Goulard p. 2, concl. G. Bachelier BDCF 1/96 n° 62) avec son arrêt Car Diffusion 78 (CE, 15 avr. 2015, req. n° 373269, Sté Car Diffusion 78 : RJF 7/15 n° 613, concl. F. Aladjidi BDCF 7/15 n° 93) qui, aux visas des articles L. 81 et L. 82 C du LPF, a considéré qu’« eu égard aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ces dispositions ne permettent pas à l’administration de se prévaloir, pour établir l’imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge. » Cette nouvelle jurisprudence ouvre, ainsi, une large brèche dans le principe d’indépendance des procédures pénale et fiscale. Et c’est donc en ligne avec cette évolution que le Conseil constitutionnel a fait un pas supplémentaire en décidant que « les dispositions contestées de l’article 1741 du (CGI) ne sauraient, sans méconnaitre le principe de nécessité de délits, permettre qu’un contribuable qui a été déchargé de l’impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale » (Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC, M. Alec W. et a. : JurisData n° 2016-012236 et Cons. Cont. 24 juin 2016, n° 2016-546 QPC, M. Jérôme C. : JurisData n° 2016-012237).
- Le sort des documents d’origine illicite au regard du droit européen
La Cour européenne des droits de l’Homme consacre dans son article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’Homme (CEDH) le principe du droit à un procès équitable qui lui permet d’examiner, à ce titre, la régularité du mode de présentation des moyens de preuve (CEDH, 19 déc. 1990, n° 11444/85 : Rec. série A, n° 191-A, § 34) et de sanctionner leur violation.
Néanmoins, comme cet article ne trouve à s’appliquer qu’en cas d’accusation en matière pénale (CEDH, 24 févr. 1994, n° 12547/86, Bendenoun : Dr. fisc. 1994 n° 21-22, comm. 989) ou de contestation sur les droits et obligations à caractère civil, la procédure fiscale est, en principe, exclue de son champ, en dépit des effets patrimoniaux du contentieux fiscal (CEDH, 12 juill. 2001, n° 44759/98, Ferrazzini c/ Italie : Dr. fisc. 2002 n° 10 comm. 187). Et, à cet égard, en ce qui concerne les pénalités fiscales, la CEDH a précisé sa jurisprudence en confirmant l’application de l’article 6 à une majoration d’impôt nonobstant la légèreté de la sanction litigieuse, au motif que celle-ci visait pour l’essentiel à punir pour empêcher la réitération des agissements incriminés (CEDH, Grande Ch., 23 nov. 2006, n° 73053/01, Jussila c/ Finlande).
Pour autant, par son arrêt Chambaz c/ Suisse (CEDH, 5 avr. 2012, n° 11663/04 : JCP G 2012. 924 obs. Sudre), la Cour européenne, qui n’est « pas liée par les qualifications données par les États aux procédures contentieuses » et qui interprète la Convention « de manière à garantir le caractère concret et effectif des droits qui y sont garantis », a apporté une exception à ce principe en cas de procédures pénale et fiscale liées, c’est-à-dire « lorsque différents éléments se trouvent combinés dans une même procédure de telle manière qu’il est impossible de distinguer les phases de celle-ci portant sur une accusation en matière pénale de celles qui ont un autre objet ».
Signalons cependant qu’au visa cette fois de l’article 8 (droit au respect du domicile) de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour EDH a jugé que la perquisition du domicile d’un couple soupçonné d’évasion fiscale sur la base d’informations achetées par les services secrets allemands a constitué une mesure légale et proportionnée et a donc conclu à la non-violation de l’article 8. (CEDH, 6 oct. 2016, aff. K.S. et M.S. c. Allemagne, req. n° 33696/11).
2.1. L’apport de l’arrêt Chambaz
Dans cette affaire, en substance, l’Administration avait ouvert une procédure de redressement fiscal en se heurtant à un refus de coopération caractérisé de la part du contribuable qui avait conduit le service à lui infliger une amende ; peu après, après avoir obtenu la suspension du contentieux fiscal, elle avait engagé des poursuites pénales visant la même période, assorties de perquisitions et saisies avant que le juge de l’impôt statue finalement en présence d’un représentant du parquet suisse détenteur de nombreux documents qu’il n’avait pas transmis au tribunal. Le contribuable avait, alors, saisi en vain le tribunal fédéral administratif en invoquant la violation de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, du principe de l’égalité des armes.
La Cour européenne ayant, alors, considéré que la procédure administrative avait été étroitement liée à l’accusation pénale en raison des faits et de la façon dont les autorités compétentes avaient mené leurs investigations, elle en a conclu que l’on était en présence d’un seul et même ensemble procédural qui devait être placé sous le régime le plus protecteur, à savoir celui de l’article 6-1 de la Convention européenne :
« 41. (…) (La Cour) irait à l’encontre de ce but, si elle s’estimait liée par les qualifications contenues dans l’ordre juridique interne, car cela aurait pour conséquence que l’application de l’article 6 de la Convention à certaines catégories de litiges serait subordonnée à la volonté souveraine des États membres (Engel et autres c. Pays-Bas, 8 juin 1976, § 81, série A n° 22).
- S’agissant de la situation particulière d’un requérant contre lequel plusieurs procédures distinctes sont menées en parallèle, la Cour ne saurait, ainsi, exclure l’applicabilité de l’article 6 de la Convention lorsque l’examen des griefs allégués par le requérant l’amène inévitablement à se pencher peu ou prou sur des actes, ou des fragments de procédure, auxquels l’article 6 n’est en principe pas applicable (Sträg Datatjänster AB c. Suède (déc.), n° 50664/99, 21 juin 2005), notamment lorsque différents éléments se trouvent combinés dans une même procédure de telle manière qu’il est impossible de distinguer les phases de celle-ci portant sur une « accusation en matière pénale » de celles qui ont un autre objet (Jussila c. Finlande, précité, § 45).
- La Cour peut donc être amenée, dans certaines circonstances, à examiner globalement, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, un ensemble de procédures si celles-ci sont suffisamment liées entre elles pour des raisons tenant soit aux faits sur lesquelles elles portent, soit à la manière dont elles sont menées par les autorités nationales. L’article 6 de la Convention sera ainsi applicable lorsqu’une des procédures en cause porte sur une accusation en matière pénale et que les autres lui sont suffisamment liées (…)
- À la lumière de ce qui précède, la Cour arrive à la conclusion que l’enquête pour soustraction d’impôts dirigée contre le requérant s’inscrivait dans le prolongement de la procédure qui s’est déroulée devant le tribunal administratif. Elle estime, par conséquent, que les deux procédures étaient étroitement liées de sorte que le caractère manifestement pénal de l’enquête s’est étendu à la procédure ayant donné lieu à la présente requête. Il s’ensuit que l’article 6 de la Convention est applicable dans le cas d’espèce sous son volet pénal. Partant, il convient de rejeter l’exception du Gouvernement. »
Une telle jurisprudence trouvera, ainsi, spécialement à s’appliquer lorsqu’au cours d’une procédure fiscale faisant l’objet de poursuites pénales parallèles « imbriquées », l’Administration exercera son droit de communication auprès des autorités judiciaires (LPF, art. L. 82 C et L. 101), soit directement pour les autorités françaises, soit par le biais de l’entraide judiciaire pour les autorités étrangères.
Et, à cet égard, on peut présumer que le développement des procédures judiciaires d’enquête fiscale ne fera qu’augmenter les cas d’interdépendance entre les deux procédures.
Cela signifie que le contribuable pourra revendiquer son droit au silence et de ne pas devoir contribuer à sa propre incrimination (CEDH, 25 février 1993, n° 10828/84 Funke : RJF 8-9 1993 n° 1254), un accès à l’intégralité du dossier pénal (égalité des armes) avec communication de l’ensemble des preuves en faveur ou non de l’accusé, sous le contrôle d’un juge indépendant (pour sauvegarder les intérêts vitaux de l’État ou les droits fondamentaux d’autrui), le respect absolu du contradictoire avec, notamment, l’inopposabilité devant le juge administratif de la clause conventionnelle de confidentialité (CE, 26 janv. 2011, req. n° 311808 : Dr. fisc. 2011 n° 18-19 comm. 343 concl. Escaut), et le respect des règles de la preuve pénale interdisant de recourir à la contrainte ou à des pressions.
Pour autant, ces droits liés au caractère pénal de la procédure liée n’auront pas tous la même importance. Ainsi le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination ne pourra être opposé aux obligations déclaratives des contribuables qui sont liées aux biens et non à la personne, ni aux demandes de réponses non contraignantes liées à la personne (LPF, art. L. 16), ni au déroulement des procédures purement fiscales (vérification de comptabilité, examen contradictoire de situation fiscale personnelle…).
En revanche, cette jurisprudence trouvera à s’appliquer, notamment, dans la mise en œuvre de la procédure fiscale de perquisition et saisie de l’article L. 16 B du LPF assortie de poursuites pénales imbriquées, ou en cas de transmission ou de révélation de procès-verbaux de poursuites pénales, ou encore en cas d’opposition à contrôle fiscal.
2.2. L’arrêt Charrasse du Conseil d’État
Récemment, le Conseil d’État a eu à connaitre de cette jurisprudence dans l’affaire Charrasse (CE, 30 mars 2016, req. n° 375116 : Dr. fisc. 2016 n° 22, comm. 355).
En janvier 2002, à la suite d’un différend avec l’un de ses partenaires, organisme para-public étranger, le contribuable, dirigeant de sociétés, engage à son encontre une procédure d’arbitrage suite à la rupture qu’il considérait abusive d’un contrat de gestion liant les parties. Un an plus tard, en janvier 2003, cet organisme para-public dépose une plainte pénale pour abus de confiance tant à son encontre qu’à celle des sociétés qu’il dirigeait. Une ordonnance de non-lieu est rendue le 10 février 2005 par le magistrat instructeur sur réquisitions conformes du Parquet du 20 octobre 2004. En appel, cette ordonnance de non-lieu est cassée et un nouveau juge d’instruction est désigné par un arrêt du 18 novembre 2005 pour poursuivre l’instruction.
Entretemps, l’administration fiscale engage en novembre 2004 une procédure d’examen de situation fiscale personnelle (ESFP) à l’encontre du contribuable suivie, deux mois plus tard, d’une vérification de comptabilité de la société de droit français qu’il dirigeait. En mai 2005, l’administration consulte le dossier pénal et prend des copies de certaines pièces. Sur la base des informations ainsi recueillies dans le dossier pénal, l’administration demande et obtient l’autorisation d’effectuer, en septembre 2005, des visites domiciliaires sur le fondement des dispositions de l’article L. 16 B du LPF notamment au domicile du contribuable et au siège social des sociétés qu’il dirigeait. À la suite de ces perquisitions fiscales, l’administration déclenche une vérification de comptabilité de la société de droit panaméen co-contractante de la société de droit français considérant que cette société disposait d’un établissement stable en France. Cette vérification se conclut par une proposition de rectification adressée à cet établissement stable le 22 décembre 2005 sur les exercices 1999 à 2002.
Parallèlement, le nouveau juge d’instruction adresse une commission rogatoire internationale le 8 décembre 2005 aux autorités suisses pour identifier des mouvements enregistrés sur des comptes ouverts en Suisse par la société de droit panaméen. Le 13 décembre 2005, une perquisition est effectuée par la brigade financière au domicile du dirigeant et au siège de ses sociétés. Celui-ci est alors immédiatement placé en garde à vue par la brigade financière, il est entendu pendant près de 48 h et déclare pendant son audition qu’il est l’ayant droit économique de la société panaméenne. Il est présenté au juge d’instruction qui le met en examen du chef d’abus de confiance puis l’interroge à trois reprises en janvier, avril et octobre 2006. En mars 2006, les autorités suisses transmettent au juge d’instruction la documentation bancaire. En septembre 2007, le contribuable est renvoyé devant le tribunal correctionnel qui le déclare non coupable et le relaxe. Mais en appel, la cour infirme ce jugement, le condamne à la peine de 10 mois d’emprisonnement avec sursis et à payer à son partenaire la somme de 7,7 millions de USD. Le pourvoi en cassation est ensuite rejeté.
De son côté, l’administration fiscale, après avoir consulté à plusieurs reprises le dossier pénal, a adressé au contribuable en mars 2006 une proposition de rectifications portant sur les années 1996 à 2001 en se prévalant de la prescription décennale (LPF art. L 170) au motif que l’instance pénale avait révélé des omissions de déclaration de revenus. Et cette proposition de rectification était fondée en particulier sur les procès-verbaux d’audition du contribuable au cours de sa garde à vue au cours de laquelle il avait reconnu être l’ayant droit économique de la société panaméenne.
Devant le juge administratif, le contribuable a contesté les impositions et pénalités mises à sa charge en évoquant deux moyens principaux.
Il a soutenu, en premier lieu, que la prescription décennale de l’article L. 170 du LPF ne pouvait pas être mise en œuvre, dès lors que les omissions de revenus en litige n’avaient pas été révélées par l’instance pénale, mais par des procédures antérieures.
En second lieu, le contribuable s’est prévalu de l’arrêt Chambaz précité pour soutenir que les dispositions de l’article 6 de la Convention EDH avaient été en l’espèce violées, dès lors que d’une part, les procédures pénales et fiscales étaient intimement imbriquées et d’autre part, que les impositions étaient fondées sur des déclarations faites au cours de son audition en garde à vue par la brigade financière, alors qu’il ne lui avait pas été notifié son droit de garder le silence.
Dans son arrêt en date du 30 mars 2016, le Conseil d’État a rejeté sa demande.
Le Conseil d’État a d’abord rappelé le principe que « le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure pénale constatée par le juge compétent peut utilement être invoqué par un contribuable pour demander la décharge des impositions mises à sa charge sur le fondement de l’article L. 170 du livre des procédures fiscales [devenu L. 188 C – cf. supra] (…) ; qu’en effet, les dispositions du livre des procédures fiscales instituant au bénéfice des services fiscaux un droit de communication auprès des autorités judiciaires ne sauraient permettre à ces services de se prévaloir, pour fonder l’imposition, de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge compétent ».
Mais, il a, ensuite, décidé de rejeter le moyen qui lui était soumis au motif qu’en l’espèce, « le contribuable se bornait à soutenir que l’administration fiscale ne pouvait utiliser les procès-verbaux de ses auditions dressés par la brigade financière dans le cadre de la procédure pénale diligentée à son encontre au motif qu’il n’avait pas été informé du droit dont il disposait de garder le silence, sans alléguer que ces procès-verbaux étaient entachés, pour ce motif, d’une illégalité constatée par le juge compétent ».
Le Conseil d’État a ainsi évité d’analyser l’argumentation qui lui était soumise fondée sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, tel qu’interprété par la jurisprudence Chambaz, alors que c’est sur ce fondement que la cour de Paris l’a considéré inopérant au motif notamment que la procédure pénale et la procédure fiscale ne peuvent être regardées comme constituant une seule procédure.
Plusieurs objections peuvent être émises à l’encontre de cette décision.
Premièrement, l’arrêt Chambaz n’exige pas une décision du juge déclarant illégales les conditions dans lesquelles les pièces ont été obtenues par l’administration.
Deuxièmement, comment peut-on valablement opposer au contribuable le fait qu’il n’ait pas obtenu une décision du juge déclarant irrégulière la procédure de garde à vue, alors qu’à l’époque des actes de la procédure pénale en cause, la Cour de cassation n’avait pas encore procédé au revirement de jurisprudence sur la régularité des gardes à vue. Ce n’est, en effet, que dans trois arrêts du 19 octobre 2010 que la Cour de cassation a considéré que toute personne soupçonnée d’avoir commis une infraction doit, dès le début de la garde à vue, être informée de son droit de se taire et bénéficier, sauf renonciation non équivoque, de l’assistance d’un avocat (Cass. crim., 19 oct. 2010, n° 10-82.306, Bull. crim. 2010, n° 163 ; n° 10-82.902, Bull. crim. 2010, n° 164 et n° 10‑85.051, Bull. crim. 2010, n° 165). Une telle action en nullité de la garde à vue aurait donc été nécessairement vouée à l’échec. Or, la Cour EDH considère qu’un requérant ne se verra pas reprocher de ne pas avoir épuisé une voie de recours interne en produisant la jurisprudence pertinente établissant que la voie de droit en question était nécessairement vouée à l’échec (CEDH, 6 mai 2003, req. n° 39343/98, 39651/98, 43147/98 et 46664/99, Kleyn et autres c. Pays-Bas).
Dès le départ, la Cour européenne des Droits de l’Homme a été guidée par le souci d’assurer à ces droits leur pleine effectivité en jugeant que « La Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs » (CEDH, 9 octobre 1979, Airey c. Irlande).
Or, en l’espèce, d’une part, les procès-verbaux d’audition du contribuable lors de sa garde à vue ont été exploités par le vérificateur pour établir les impositions en litige, alors que la brigade financière ne lui avait pas notifié son droit au silence. D’autre part, les deux procédures en question, pénale et fiscale, avaient des liens très étroits, comme dans l’arrêt Chambaz. D’abord, ces deux procédures portaient sur des faits analogues et avaient un objet commun. La procédure pénale issue de la plainte visait à démontrer l’existence de détournements de fonds du contribuable et la procédure fiscale tendait à déterminer les revenus appréhendés par celui-ci. Ensuite, elles ont été menées de manière synchrone. Elles ont progressé de concert et au même rythme, une étape de l’une entraînant une étape de l’autre. De plus, les pièces de ces procédures démontrent une très étroite coopération entre d’une part, le juge d’instruction, le Parquet et la brigade financière, et d’autre part, les services fiscaux. Ainsi par exemple, le juge d’instruction avait délivré une commission rogatoire pour obtenir la communication des procédures fiscales ; l’administration fiscale a exercé à plusieurs reprises son droit de communication auprès de l’autorité judiciaire pour consulter et obtenir des copies de certaines pièces du dossier pénal. En outre, les requêtes aux fins de visites domiciliaires et saisies déposées par l’administration sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF étaient fondées sur la plainte pénale. Enfin, si la prescription décennale de l’article L. 170 du LPF a été mise en œuvre, c’est précisément du fait de la consultation et de l’exploitation de la procédure pénale.
Ainsi, la procédure fiscale s’est nourrie de la procédure pénale, et notamment des procès-verbaux d’audition en garde à vue, et réciproquement, au point de constituer, sinon une seule et même procédure, du moins un seul et même ensemble procédural. Bref, dans cette affaire, comme dans l’arrêt Chambaz, le fiscal a été absorbé par le pénal.
La procédure d’imposition en cause revêt donc globalement un caractère pénal au sens de l’article 6, lequel s’applique à elle. En tout état de cause, et a minima, le Conseil d’État aurait dû nécessairement appliquer l’article 6 aux majorations de manquements délibérés et manœuvres frauduleuses assortissant les rappels d’impôts en litige.
En résumé, dans cette affaire, une imposition a donc été établie sur la base d’informations obtenues en violation des droits fondamentaux du contribuable et alors qu’il ne disposait, à l’époque des faits, d’aucun recours effectif lui permettant d’obtenir l’annulation des pièces en litige, puisque la jurisprudence de la Cour de cassation était constante et rejetait le moyen tiré de l’irrégularité de la garde à vue. De plus, à la même époque, c’est-à-dire avant la jurisprudence Car Diffusion 78 précitée, la jurisprudence du Conseil d’État était également constante depuis la décision Navon de 1996 et le contribuable ne pouvait pas obtenir l’annulation de la procédure d’imposition sur la base d’une irrégularité de la procédure pénale sur laquelle l’imposition était fondée.
Conclusion
Les nouveaux moyens de lutte contre la grande fraude fiscale, dont la France et l’Union européenne se sont récemment dotées, auront cette conséquence induite de multiplier les procédures fiscales et pénales liées, et interdépendantes, dans lesquelles, en dépit du principe d’indépendance des procédures, le contribuable se voit reconnaître des droits et des garanties qui trouvent leur origine tant dans le code procédure pénale que dans la Convention européenne des droits de l’Homme et dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il appartiendra au Conseil d’État d’en tirer toutes les conséquences à la lumière de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, de la Cour européenne des droits de l’Homme et de la Cour de justice de l’Union européenne.